Malgré une liaison téléphonique bien peu collaborative, mon accent pourri et mes questions nazes, Hotel (Jamie), l’homme de The Kills, a joué le jeu avec une patience remarquable. Retranscription sans les « putain j’entends rien » du début, sans mes bafouillements, sans mon accent, sans les crachotis, mais avec Hotel.

Hotel, je me souviens vous avoir vus sur scène l’année dernière en première partie de FF et je me rappelle avoir pensé en vous voyant tous les deux sur cette grande scène, dans cette grande salle “dommage de ne pas les voir dans un lieu plus intime”.  Sur scène, vous paraissez tellement liés, proches, qu’on veut aussi être proches de vous…

Oui je trouve ça difficile de gérer une grande scène, une grande salle… Je préfère jouer dans de petits clubs, qui conviennent mieux à ce que nous faisons.

Oui en plus on sent quelque chose très sensuel avec votre musique et on ne ressent pas la même chose dans une énorme salle… Vous avez beaucoup tourné cette année, d’ailleurs… Quel a été ton moment préféré ?

C’est difficile  à dire mais… Je me souviens du concert à Mexico… Je ne m’imaginais même pas qu’un jour, on jouerait en Amérique du Sud, en fait. Le truc c’est que on a du mal à identifier un concert en particulier, tant on vit sur la route… Ca fait tellement partie de notre quotidien… Hier par exemple, je regardais ce que j’ai écrit dans mon journal ces derniers mois, pendant la tournée. Et je me suis rendu compte qu’on en avait fait des concerts… Je me suis dit « pas étonnant qu’on commencent à fatiguer.. ».

Oui vous n’avez pas arrêté de tourner… Est-ce que vous faites évoluer votre musique et vos sets au fur et à mesure des concerts, des réactions du public etc. ? 

Je ne sais pas en fait… Oui, tout ça évolue certainement au fil du temps… Mais je crois que quand on est dans la tournée, on ne s’en rend pas compte… On essaie surtout de faire les meilleurs concerts qu’il nous est possible de faire. On est même peut-être trop ambitieux sur ce point… J’ai envie que les gens sortent de nos concerts en se disant qu’ils ont vécu quelque chose de vraiment à part. Qu’ils en parlent après, parce que ça les a marqués… C’est vraiment mon but. Je vis presque pour ça…

Drôle de question mais si tu pouvais choisir un groupe ou un artiste (mort ou vivant) avec lequel jouer sur scène, tu choisirais qui ?

Probablement The Velvet Underground. A cause de leur façon de travailler, de voir la musique et la démarche artistique… Un groupe qui a eu une véritable influence, un impact culturel, sans nécessairement avoir eu énorme écho auprès du grand public ou vendu des millions de disques. C’était vraiment un groupe qui touchait à toutes les formes d’art, autour duquel gravitaient des artistes pop, des réalisateurs, des écrivains… Ca correspond à une démarche artistique, une démarche de création un peu chaotique qui me plaît…

Puisqu’on parle de combiner différentes formes d’art,  est-ce que tu es impliqué dans la création de vos visuels d’albums, etc. ?

Oui, totalement. On consacrerait même plus de temps et d’énergie à s’occuper de ça qu’à enregistrer l’album à proprement parler. On travaille là-dessus, on travaille les idées qu’on a en tête pour les visuels, les photos etc, puis tout est envoyé à la maison de disques.. C’est un aspect très important de ce qu’on fait.

Justement, j’ai vu le clip de The Good Ones et j’ai trouvé que ça correspondait tout à fait à votre musique, en fait. Cette peinture rose qui finit par se répandre un peu partout… Parce que quand je vous ai vus sur scène, ou quand j’écoute des chansons comme No Wow ou Murder Mile, j’ai l’impression que vous commencez sur un mode répétitif, et puis la tension monte, progressivement, jusqu’à une sorte de transe presque…

oui, tout à fait, oui.

C’est même animal… Et je trouve que la vidéo reflète ça. Vous avez été très impliqué dans le tournage de ce clip ?

Oui. En fait, cette vidéo, c’est ce qui m’enthousiasmait le plus. J’ai beaucoup travaillé à expliquer ce que j’avais envie de faire passer, l’atmosphère que je voulais donner à ce clip… Restituer l’atmosphère de cette période de transition, ces limbes qui caractérisaient la fin des années 1970s…  Mais en fait, j’ai trouvé que c’était un procédé assez frustrant pour un groupe.  Parce que quand on prépare un clip, on nous renvoie des questions du type « est-ce que ça va passer sur MTV ? » « est-ce que ça, ça pourrait passer ? ». Tu sais… « Non, tu ne peux pas montrer cette canette de bière parce qu’on voit le logo, ça passera pas sur MTV»… Etc, etc. Je gardais un œil sur les choses, en disant « ça j’aime pas », « ça je veux pas » etc. Mais ça n’était pas facile de laisser aux autres le soin de s’occuper de tes idées. De déléguer cette partie de la création.

Cette fois au lieu de tout contrôler, tu as du déléguer ton inspiration, tes idées à d’autres et voir ce qu’ils en faisaient…

Oui, voilà… Et même si j’adore le clip qui a été fait, j’ai assez mal vécu le fait de devoir déléguer comme ça une partie du processus créatif… C’est trop bizarre.

Oui, d’ailleurs, quand, on parle de The Kills, on pense à un duo presque hermétique, en tout cas qui n’a pas besoin des autres pour exister. Est-ce que c’est aussi à cause de ça que c’était si dur de laisser d’autres s’introduire dans votre travail, finalement ?

Oui, je crois que c’est parce que depuis le début, on a toujours tout fait nous même de A à Z. On a dessiné notre propre logo, fait nos propres artworks… Réparé nous-mêmes nos instruments ! (rires), décidé seuls des concerts qu’on feraient… Donc là, sur ce clip, c’était en fait la première fois qu’on abandonnait à d’autres une partie de notre travail au lieu de tout faire nous-mêmes et c’est perturbant… Autrefois on a eu un manager, pendant peut-être… un an et demi ou deux ans… Et bon, ça ne nous semblait pas vraiment nous aider… Alors on a décidé de se manager nous-mêmes (rires).

J’ai vu que vous aviez enregistré une chanson avec le groupe Dionysos, chanson appelée The Old Child, sur leur dernier album… Comment vous êtes-vous rencontrés ?

En fait on s’est croisés pendant un Festival… Ils nous ont dit être fans de notre musique, on les a vus sur scène et on a aimé… Ensuite on est restés en contact, on s’est échangés des emails, et c’est comme ça que progressivement les choses se sont faites.

Maintenant concernant l’album. Selon toi, quelle chanson  est la plus représentative de votre personnalité en tant que groupe et de quelle chanson es-tu le plus fier ?

Love is a Deserter est vraiment celle dont je suis le plus fier. C’est probablement No Wow qui symboliserait  le mieux ce que nous sommes, mais c’est de Love is a Deserter que je suis le plus fier.

Pourquoi ?

Parce que la plupart du temps, je n’ai jamais l’impression d’avoir vraiment terminé une chanson, jamais le sentiment qu’elle soit aboutie, même une fois enregistrée. Alors que sur celle-là, j’ai vraiment eu l’impression de tenir une chanson aboutie… Je ne sais pas… Les paroles, les rythmes etc. sont venus très vite et une fois terminée, j’ai vraiment eu le sentiment que rien ne manquait.

Maintenant, sur votre musique en général, j’ai une question un peu… Bizarre, m’enfin… J’ai toujours eu l’impression que comparer la musique d’un groupe à la musique d’un autre pour mieux la décrire était un peu limitatif. Et pour moi, le mieux pour décrire une musique, c’est de la comparer plutôt à des expériences vécues, des émotions, d’autres œuvres d’art qui ont produit le même effet sur nous. Alors si tu devais décrire votre musique à quelqu’un qui ne la connaît pas, tu la comparerais à quoi ?

Oui, je vois ce que tu veux dire… En fait… J’ai vu cette exposition Dada, récemment à Paris… Et je crois que finalement, ça représente bien tout ce que nous faisons. C’est une espèce de chaos de peinture, de musique, de photos… C’est comme ça qu’on procède je pense, pour notre musique. On accumule toute une collection d’impressions, de sources d’inspirations, on presse ce qu’on a pu vivre les mois qui ont précédé et on extrait des choses… Cinématographiquement, je dirais des films comme Paris,Texas, par exemple… Des trucs un peu… Chaotiques (rires). Je pense aussi au roman Last Exit to Brooklyn. La langue très brute utilisée dans ce roman, c’est une sorte de « poésie moderne », finalement…

Oui. C’est un style très rêche et très moderne… C’est assez étonnant de voir à quelle époque ça été écrit… Oui, je trouve que ça collerait bien à votre musique… Comme tu le disais, à la fois un peu chaotique et en même temps très fort…  

oui…

Je me demandais… Bon, je te rassure, ce sera ma dernière question (rires) : pendant les tournées, vous avez le temps de travailler sur de nouvelles chansons, ou est-ce que vous avez vraiment besoin de vous consacrer à ça pendant des semaines d’affilée, d’y consacrer un temps à part ?

 Ah ça, c’est quelque chose que je suis incapable de faire. Je suis incapable de trouver de nouvelles chansons pendant que je suis en tournée. Certains groupes le font, mais personnellement… Je comprends ce besoin d’être créatif en permanence, mais je ne sais pas… S’atteler à de nouvelles chansons, faire les sound checks, tout ça… Ca en ferait presque un travail ! Alors que moi… Je ne sais pas… J’ai été élevé sans musique… Mes parents n’aimaient pas trop l’art ou la musique. Ils n’avaient rien contre, mais ils n’étaient pas artistes. Alors quand j’ai découvert la musique… En fait pour écouter de la musique, je m’enfermais dans ma chambre et c’était presque quelque chose que je faisais en cachette. S’inspirer, puis créer des choses, de la musique et puis une fois que c’est fait, sortir et la faire découvrir à d’autres. En fait c’est quelque chose qui m’est resté. Et de ce fait, je suis incapable de créer une nouvelle chanson avec d’autres personnes autour de moi, comme ça, en plein milieu d’un  sound check, par exemple ! Pour moi, c’est quelque chose qui doit se faire presque en étant coupé du monde extérieur.

Oui. Et j’imagine que ce que vous vivez pendant les tournées, même si vous ne bossez pas sur de nouvelles chansons pendant ce temps… j’imagine que ça vous sert, ça vous inspire ensuite quand vient le moment de composer, non ?

Oui, tout à fait. C’est ce que s’est passé pendant notre dernière tournée… Le fait de vivre des expériences différentes, d’aller d’hôtel en hôtel, de vivre des concerts différents, de rencontrer de nouvelles personnes… Sur le moment, on ne s’en rend pas compte et puis une fois la tournée terminée, tu regardes en arrière et tu commences à aborder les choses d’une façon beaucoup plus créative… J’ai toujours besoin de faire ça. Il me faut toujours prendre un peu de recul sur ce que j’ai vécu pour créer.

Bon et bien je te remercie…

merci à toi. Désolé pour les conditions dans lesquelles ça s’est fait…

Oui j’aurais préféré te parler en personne, ça aurait peut être compensé mon accent nul et mes questions incompréhensibles (rires)

Stellou