Le 4ème album de Luke vient de sortir. Vous avez entendu pas mal de temps pour le sortir, une pause nécessaire pour le groupe?

En fait, on laisse toujours 3 ans entre chaque disque. On n’a jamais fait moins ou plus. Après le dernier était un live. Mais j’ai l’impression d’avoir été vite. On est peut être un peu lents mais il faut écrire des textes, des mélodies, les arrangements. Et comme on fait tout nous mêmes, c’est vrai que çà prend du temps.

C’est vrai que si j’avais travaillé dans le monde qui nous entoure et que je travaillais à la Poste, j’aurais sûrement été viré par manque de productivité! En tous cas pour cet album, la seule différence avec les précédents était que cette fois, on n’avait pas de timing pour le sortir.

Quand vous avez décidé d'enregistrer cet album, aviez vous une idée précise du son?

Quand on est parti enregistrer, tout était fait. C’est une absurdité aujourd’hui de dépenser de l’argent dans les studios, c’est tellement cher. On est un peu bidouilleur sur ordinateurs par exemple. Avec le contexte économique actuel, c’est une aberration économique surtout quand tu es un groupe français. On ne peut pas dépenser 1000 euros par jour de studio et y rester à chercher des idées. Je pense que tout se passe en amont. On a voulu bidouiller et quand on est arrivé au studio, on savait exactement ce qu’on voulait et il fallait faire pareil. Tout était fait. C’est d’ailleurs la première fois où je n’avais pas à écrire les textes en studio. Tout s’est fait en 2 semaines et demi.

Il y a eu pas mal de changements au départ dans Luke, la nouvelle stabilité a-t-elle changé ton écriture?

Oui, c’est très dur de faire un groupe. J’ai beaucoup souffert de cette image de dictateur. Tu dois aussi écrire contre les autres. il faut oublier ce que penses les autres. Les gens m’ont laissé tranquilles pour cet album, çà c’était bien. Je ne travaille qu’avec des gens qui parlent de musique et ils ont bien compris ce qu’il fallait faire avec moi.

Pense à moi est donc le premier single de l'album. Peux tu raconter l'histoire du morceau?

Le refrain est venu avec la mélodie. Je n’ai pas eu besoin de faire rentrer une mélodie dans un texte. Le refrain en entier m’est venu d’un seul coup.  Après, j’ai cherché le sujet de la chanson. Je me suis donc dit que çà parlait d’un départ. C’est le chant du migrant. D’un point de vue économique, il est obligé de quitter sa famille, ses amis, et même s’ils s’aiment encore, il est obligé de partir. C’est forcément aussi une chanson d’hommes. Au 21ème siècle, çà reste une chanson d’hommes avec en écho une voix de  femmes. Cà n’a pas changé depuis le Moyen Age, c’est toujours un homme qui part.

Pour Monsieur Tout le Monde, c'était un peu pour désacraliser ton statut de chanteur?

Je ne parle jamais de moi dans mes textes. En particulier sur cet album, je ne me mets jamais en perspective. Ou alors j’en parle par dérivés. Par exemple, sur Fini de rire, je parle d’un clown et je pense que le clown est la figure tutélaire parfaite pour définir ce qu’est l’artiste et le poète. Mon boulot est de parler des gens, pas de moi, le chanteur. Mon boulot est de donner les mots aux gens qui n’en ont pas. Il y a une solitude profonde dans les villes et on construit son personnage et sa personnalité en fonction de l’extérieur, de la télévision, d’internet. On est confronté à des modèles qu’on ne sera jamais. Tout a été construit par l’extériorité. Cette extériorité m’ennuie. Plus le développement de nos médias existent, plus on va arriver à une crise considérable. Je réfléchis pour les gens qui recherchent de l’extériorité, qui ont des idoles imparfaites, étant athées, ils cherchent une attelle qu’ils ne trouvent pas. Tout le monde veut faire comme tout le monde, être comme le dominant économique et culturel.

Pour écrire, tu n'as pas la peur de la feuille blanche?

J’avais un problème qui est le langage. C’est une souffrance totale. Pour tout peintre, les couleurs sont une souffrance. J’utilise le langage pour un personnage, je dois voir s’il y a une morale ou non. Je me pose beaucoup de questions et à la fin tout doit paraître naturel. Il faut qu’il y ait une apparente simplicité. S’il y a une apparente complexité, c’est que c’est mal écrit. En France, tout le monde est tellement traumatisé par Rimbaud que tout le monde veut faire le poète mais personne ne l’est.

Pas mal de dates sont déjà calées sur la tournée. Sur scène, quel est le morceau où vous prenez le plus de plaisir?

Je ne réponds jamais à cette question là parce qu’en fait, il faudrait croire que nous maîtrisons tous nos morceaux. C’est la musique qui dicte sa loi chaque soir et çà dépend donc de tellement de facteurs qu’on ne sait jamais ce qu’il va se passer. Parfois, des moments marchent mieux, d’autres moins. Si je répondais à cette question, c’est que je maîtriserais trop et ce n’est pas le cas du tout.

Luke existe 2001, te considères tu comme un groupe important de la scène rock française?

Pour être très honnête, on l’a été un moment par inadvertance. Mais après quelles sont les chansons que les gens ont retenues dans le rock? Ils connaissent Tostaky et pour nous Soledad ou la Sentinelle. Je ne me pose pas la question de savoir si on a un groupe important. Si je me posais ce type de questions, c’est que je deviendrais fou. Je me verrais plus alors en Thomas de Luke et non plus Thomas Boulard. C’est impossible. J’ai de trop bons amis autour de moi qui me permettent de relativiser. J’essaie plus de donner d’autres clés d’écoute aux gens comme le font Dionysos ou Louise Attaque. Nous, on fait notre artisanat en espérant que çà marche, que çà touche quelqu’un. C’est tout. Comme le dit Baudelaire, quand 2 peintres se rencontrent, ils parlent de leur type de pinceaux ou toiles mais quand 2 critiques d’arts se rencontrent, ils parlent de l’avenir de la peinture ou des grands types de mouvement. Moi, çà ne m’intéresse pas çà de savoir ce que représente tel ou tel groupe sur la scène musicale.

Vous faîtes souvent gagner des places sur internet à vos fans. C'est important de garder ce lien avec eux?

Je dis justement souvent que nous n’avons pas de fans, c’est autre chose chez nous. Je n’ai pas encore trouvé le mot, mais le mot fan ne leur convient pas du tout. On peut discuter avec eux, ils ont un avis sur chaque morceau et ne sont pas transis en train de crier comme des sourds. Ils ont un avis sur les concerts, et sur la vie en général. Ce ne sont pas des fans, ils ont grandi avec nous. On va essayer de faire gagner à un groupe notre première partie au Bataclan. Internet est un outil important pour nous. C’est un moyen alternatif important. Cà permet de faire des choses et de s’amuser un peu aussi. Pour çà, internet est très intéressant.

Tof